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Myung-Ok Han
DE LÀ
Galerie Grand E’terna Octobre 2013


Au cours de sa carrière artistique, Myung-Ok Han n’a cessé de démontrer comment les matériaux
‘pauvres’ de notre vie quotidienne peuvent être transmutés, à travers un geste élémentaire et
répétitif, en œuvres chargées d’énergie s’ouvrant au temps et à l’espace ; les grains de riz alignés en
rangs serrés longs de plus de 12m à l'image d'un rempart en miniature ( Muraille de riz, 2005) ; 380
petits sacs plastiques remplis d'eau suspendus à l'aide de longs fils cloués sur le mur (Aquarium,
1990) ;  des ustensiles de cuisine (cuillères,  plats, bols, pots etc. ) garnis de fil de coton, enroulé en
suivant la forme circulaire du récipient… Dans tous les cas, ses œuvres résultent d’un geste répétitif
qui parvient à rendre une certaine épaisseur et splendeur du temps.


Sa nouvelle série De là (2013), des installations tricotées en fil de laine, nous révèle encore une fois
l’univers étonnant et singulier de Myung-Ok Han. Le fil (de coton, de laine ou de soie) étant son
matériau favori, l'artiste a largement exploré les pratiques possibles à partir d’un fil (suspendre, lier,
attacher, poser, coudre). Le tricot est finalement une des variantes de sa pratique artistique à partir
d’un fil et est visible dès les années quatre-vingt-dix. D’ailleurs, certaines œuvres (Sans titre 1998,
Sans titre 2012) ont été exposées en 2012 dans une exposition intitulée « Les 10 ans de la galerie
Jean Brolly » à la Bastille Design Center et témoignent de l’acte -jusqu’à présent-préféré de l’artiste
dans son travail avec le tricot à savoir l’acte d’envelopper des pierres avec un tricot rouge ou noir,
comme si le tricot doux et chaud cherchait à protéger les pierres dures et froides.


Sa nouvelle série De là manifeste un autre aspect. Parfois accrochées verticalement sur le mur ou
posées horizontalement sur un socle, les œuvres ont une forme plutôt longiligne et évoquent -
certainement par leur couleur rosâtre nuancée et par leur forme organique - quelque chose de
l’intérieur de notre corps, des organes. Les sous-titres proposés (cœur ou placenta) soutiennent
réellement cette impression, sans pourtant montrer une concordance formelle importante. Peu
importe la ressemblance. La matière qui dégage une pulsation et palpitation est en train de naître.
Une fois près de l’œuvre, nous découvrons sur le corps tout entier des tricots les froides aiguilles
enfoncées. Entourées de fils rouges courts, elles créent une texture qui paraît fourmiller entre les
mailles suscitant l’image d’un réseau capillaire. La rencontre d’un support mou (supposé chaud et
doux) et d’innombrables aiguilles (froides et aigües) engendre dans l’œuvre une forte tension.
Comme le dit fort justement l’artiste, les tricots sont en train d’être chargés par leurs batteries, les
aiguilles…


Malgré son originalité et sa nouveauté formelle, cette série s’inscrit parfaitement dans la démarche
générale de Myung-Ok Han, ceci avec une grande cohérence. Elle frôle, de nouveau, la question,
omniprésente dans son travail, de l’engendrement ou de la source de notre vie.
Par exemple, le petit vide central laissé par l’enroulement du fil dans un pot (Fil posé, 1995), n’est-il
pas ouvert comme s’il nous invitait à nous jeter dans l’abîme béant d’un trou noir cosmique? De
même, les fils de coton qui enroulent le corps des pavés (Pavés, 1993-2012) ne déploient-ils pas cette
force originelle organique avec ses mouvements giratoires et rayonnants? Ses dessins composés de
multiples traits hachurés, manifestent, par excellence, la concentration et l’expansion de ces
mouvements frémissants, créant les effets de moirure qu’on retrouve parfois dans ses installations
de fil de coton dans des récipients. Un certain rythme originel et archaïque émane des œuvres de
Myung-Ok Han. Sa nouvelle série De là révèle également la préoccupation de l’artiste sur l’origine
des choses. Cela doit être une partie liée à son souhait fondamental qui désire « toucher le fond des
choses ».


En réalisant la série De là, l’artiste n’arrêtait pas de défaire et refaire le tricot, un acte qui peut
parfois paraître masochiste et anti-productif. Dès l’aube, elle tricote des heures et des heures des
mois durant mais n’est pas forcément pressée de finir. Myung-Ok Han n’est-elle pas en vérité attirée
par l’infinité virtuelle même de l’acte de tricoter ou par la possibilité de la continuité de la réalisation
? Même après avoir rempli un grand pot avec le fil de coton, l’artiste pose à côté une pelote encore
reliée au fil de l’intérieur. De même, Sans titre 2012, une installation de tricot exposée l’année
dernière laisse tomber ses longs bouts au sol faisant voir la trace de tricot défait.


Myung-Ok Han est souvent considérée comme un artiste du temps, ce dernier étant visualisé avec
éloquence à travers la répétition ou l’accumulation du geste. Mais en réalité, pour l’artiste, la
répétition dans le temps n’a de sens que quand elle peut entrer dans un  état « hors du temps, ou à
ne plus penser au temps ». La temporalité n’est que le résultat visuel, la trace de son geste. La
question est de faire durer, d'être dans une dimension qu’elle ne peut que traverser après une telle
concentration et répétition à la lisière du rituel. C’est pourquoi chez Myung-Ok Han l’œuvre, c’est le
processus lui-même. C’est pourquoi l’artiste vit l’œuvre même en défaisant sans arrêts le tricot.


Si un pot de terre cuite, son autre matériau préféré, est un lieu où, dans le pays de l’artiste (Corée du
Sud), se passent la fermentation et la conservation de la nourriture, ce pot qui peut être vu comme
simple pot de plante aux yeux des occidentaux, est également un lieu de germination, de croissance
et de transformation. Dans tous les cas, la durée et la transformation sont présupposées. Il en est de
même de sa nouvelle série. De là (Placenta)… est bien un lieu où la vie se prépare, palpite et se
transforme.

                                                                                    Okyang CHAE-DUPORGE

                         

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